Voici le quatrième interview de cette rubrique qui est celui d’une vigneronne de Corse. Marie-Françoise Devichi du Domaine Mlle D en Corse.
La Vinosphere de BullOSphere : Racontez-moi l’histoire de votre domaine ?
Marie-Françoise Devichi : Ma famille cultive la vigne dans la région du Nebbiu et de la Conca d’or depuis 1734 au moins (ce sont les premières archives écrites que j’ai retrouvées, qui sous forme de registre répertoriait les quantités vendangées cette année la), je suis la 6eme génération à avoir repris les rênes, et la première femme à la tête (officiellement) du domaine.
Aujourd’hui la propriété est constituée de 40 hectares d’un seul tenant dans la plaine de Barbaggio, complantés de Niellucciu, Vermentinu et Muscat petits grains, le caveau de vinification se trouve au village.
La Vinosphere de BullOSphere : Quel est votre parcours avant votre arrivée au domaine ?
Marie-Françoise Devichi : J’ai fait des études générales puis je suis partie sur le continent pour tenter ma chance au concours de médecine de la faculté de Marseille.
Suite au décès de ma maman, j’ai décidé de rester en corse pour aider mon père, je me suis occupée de la partie touristique (mes parents possédaient un hôtel restaurant) mais aux premières vendanges suivantes, j’ai aidé, surtout à la cave, et j’ai décidé que si je restai là , ça serait pour faire ce métier, à partir de la a commencé mon apprentissage , fait d’écoute, de pratique de stages sur le continent et à l’étranger, j’ai envie de dire qu’il continuera jusqu’à la fin de ma carrière.
La Vinosphere de BullOSphere : Qu’avez-vous fait évoluer depuis votre arrivée ?
Marie-Françoise Devichi : J’ai tenue à moderniser l’approche commerciale, internet et les réseaux sociaux ouvrent nos produits sur le monde entier. J’ai aussi changé le design et le packaging, et ainsi créée ma marque Mlle D, et enfin j’ai vraiment cherché à faire des vins que j’aime et qui me ressemble en modernisant tout le matériel de vinification afin d’avoir tout le soutien possible de la technique actuelle, pour tâcher de faire chaque année le mieux possible.
La Vinosphere de BullOSphere : Quelles sont les particularités de votre terroir ?
Marie-Françoise Devichi : La Corse est une montagne dans la mer, et l’appellation Patrimonio, constitue la seule zone argile calcaire de toute l’ile, c’est pour ça que les civilisations antiques y avaient implantées la vigne en premier lieu, de plus les brises et embruns marins du golfe de St Florent, confèrent un climat protecteur particulier contre les maladies de la vigne, favorisant une agriculture respectueuse de l’environnement.
La Vinosphere de BullOSphere : J’ai vu que vous êtes membre de l’association Women Do Wine, pourquoi avez-vous choisie de devenir membre de cette association ?
Marie-Françoise Devichi : L’actualité le prouve, rien n’est acquis pour les femmes, salaires, discriminations, dans la presse professionnel le travail d’un homme sera plus facilement mis en avant que celui d’une femme, comme si on devait faire le double de preuves , alors qu’on fait déjà beaucoup plus que les hommes en menant de front vie professionnelle et personnelle plutôt chargée, l’association Women Do Wine, permet de nous retrouver, nous rencontrer , échanger et se venir en aide. Au final, nous aimerions que le mérite des femmes du vin soit vraiment reconnu, s’il le faut nous nous les attribuerons nous-même.
La Vinosphere de BullOSphere : Quelle est votre vision de la viticulture ?
Marie-Françoise Devichi : la viticulture quand elle va jusqu’à la vinification est un métier complet, on n’est plus seulement agriculteur, on est chef d’entreprise, on doit tout gérer, tout en restant proche de la terre, avec son âme de paysan, pour moi c’est essentiel car ce sont des principes et valeurs qui régissent votre vie, et qui vous ramène toujours à l’essentiel , la terre, l’être humain, avant l’argent et le profit.
La viticulture est un plein essor, le vin est un produit « tendance » mais je ne pense pas que tout le monde ait les capacités pour réussir, il faut beaucoup de motivation, de travail, ce n’est pas un métier mais un mode de vie.
Le talent n’est pas non plus héréditaire, même si on apprend forcement beaucoup de nos anciens, on doit faire ses preuves et affronter pas mal d’obstacles, dont de nombreux liés au réchauffement climatiques.
Le vin c’est l’échange, le partage, on peut côtoyer les grands de ce monde comme un parfait inconnu, et prendre autant de plaisir à boire un coup avec lui et à parler de notre travail. La viticulture c’est un métier de rencontre, moderne, et qui peut mener à beaucoup de choses.
La Vinosphere de BullOSphere : Envisagez-vous un passage en agriculture biologique ? Si oui qu’est-ce qui vous pousse à aller vers ce mode de culture ?
Marie-Françoise Devichi : Actuellement je ne suis pas certifiée bio, je travaille cependant dans le plus grand respect de la nature, comme le faisait les anciens, n’utilisant pas de désherbants, ni produits de synthèse, il n’existe pas d’autre façon de travailler pour moi, je m’initie à la Biodynamie, mais c’est plus pour mon évolution personnelle si j’ai le choix, je ne demanderai jamais la certification car j’ai horreur d’être mise dans une case ou une catégorie, je fais des Patrimonio pas comme les autres, et j’ai horreur de faire comme tout le monde, et qu’on me dise quoi faire.
La Vinosphere de BullOSphere : Pourriez-vous me présenter votre gamme ? Qu’avez-vous eu envie de faire ressortir dans chaque vin ? Avez-vous en projet de créer de nouvelles cuvées ?
Marie-Françoise Devichi : Je produis des vins rouge rose et blanc en AOP Patrimonio, pour chaque couleur j’ai 2 cuvées, une cuvées « traditionnelle » avec un mode de vinification classique, et une sélection parcellaire, ou comme son nom l’indique j’ai vraiment sélectionné mon micro terroir et je le vinifie pour qu’il s’exprime au mieux, macération pour le blanc, saignée pour le rosé et un peu plus d’extraction et de concentration pour le rouge, parce que le rouge traditionnelle est un rouge frais beaucoup sur le fruit, pour casser l’image austère du Niellucciu.
Je produis aussi du muscat AOP du cap corse, que je fais vieillir 3 ans, c’est la recette familiale qui donne un muscat à l’ancienne sur la madérisation et l’oxydation mais qui sait préserver son fruit.
Je fais du muscat pétillant, et son dérivé en vin de base pour ceux qui n’aiment pas les bulles, et des vins apéritifs, c’est une gamme assez varie de 11 vins, il y en a pour tous les gouts et tous les budgets.
J’ai plusieurs idées en tête, idéalement des nouveautés parcellaires, peut-être de l’élevage en bois, des eaux de vies, mais pour cela il me faudrait du nouveau matériel donc ce n’est pas pour tout de suite.
La Vinosphere de BullOSphere : Envisagez-vous de faire des vins «dits « nature » ? Si oui pourquoi aller vers ce mode de vinification ?
Marie-Françoise Devichi : Je me qualifierai de vins natures, car j’essaie d’ajouter le moins de choses possibles au jus de raisin, en réalité seulement quelques sulfites, je ne suis pas une adepte du sans sulfites ajoutés, mais j’en emploi des doses très modérées, comme je travaille en levures indigènes, a l’encuvage pour que la bonne souche de levure se développe ( je ne peux pas prendre de risque je travaille sur des gros volumes ) et un peu à la mise en bouteilles, le reste du temps c’est justement la technique qui me permet d’accompagner simplement mon vin, par du froid dans la cave et dans les cuves, des gaz naturels pour l’inertage, et un pressurage doux
J’essaie au maximum d’éviter les déviances qui pour moi ne sont pas synonymes forcement de vins natures.
La Vinosphere de BullOSphere : Si vous ne deviez conseiller qu’une seule cuvée de votre gamme ce serait laquelle ?
Marie-Françoise Devichi : Oula, choix difficile, c’est comme demander à une maman de choisir parmi l’un de ses enfants,
je les aime tous car chacun a sa personnalité, et sa palette d’accord, et même si on retrouve une trame organoleptique dans tous mes vins (du fait que les parcelles soient toutes attenantes) pour moi chaque vin et même chaque millésime est diffèrent mais si vraiment je devrais en conseiller juste un, il s’agirait du muscat pétillant car c’est un produit atypique, que j’ai mis en place à ma reprise de l’exploitation (c’est vraiment mon bébé) qui est surprenant car il ne ressemble à aucun autre muscat pétillant sur le marché actuel, et il a reçu un très bon accueil, ce qui est fort flatteur quand on lance un nouveau produit, on n’espère pas forcement la réussite tout de suite, pourtant je continue d’essayer de l’améliorer , car c’est ça aussi qui est passionnant dans notre métier, on a la chance de pouvoir s’exprimer sur une nouvelle page chaque année.
Dégustation :
Soucieuse de développer la notoriété de son domaine et de laisser son empreinte, Marie-Françoise Devichi a créé sa marque, Mlle D, et développé une gamme de vins à son image, savant mélange de tradition et de modernité.
Mlle D Le Pétillant :
C’est un 100% Muscat Petit Grain. Il est vinifié en cuve inox et il reste 35g de sucre résiduel. Pour la mise en bouteille le vin est gazéifié.
Œil : Jaune or soutenu, bulle assez fine.
Nez : fruité et gourmand sur des arômes de raisin muscat de pêche et abricot.
Bouche : finement sucré, arômes de raisin muscat et de pêche, belle fraîcheur. La finale est courte mais gourmande et de belle fraicheur.
C’est un bon vin, à déguster à l’apéritif.
Prix départ cave : 10€
Mlle D Fruttu Di Sole Muscat du Cap Corse :
C’est un 100% Muscat Petit Grain. Les raisins sont passerillés sur pied puis un assemblage de vielles vignes et de jeunes vignes est effectué. Les vins sont élevés pendant 3 ans. La fermentation est stoppée par mutage (ajout d’alcool pendant la fermentation) et il reste 100g de sucre résiduel.
Œil : Cuivré aux reflets orange.
Nez : Puissant sur des notes d’abricot sec, de miel et de date.
Bouche : douce, ronde, riche et puissante avec une belle acidité. On découvre des notes d’épices, de miel et de coing. La finale est longue avec beaucoup de fraicheur.
C’est un très bon muscat, très atypique, qui se rapproche d’un Rivesalte. A déguster sur un bon dessert.
Prix départ cave : 9€
Mlle D Patrimonio Blanc 2017 :
C’est un 100% Vermentinu (Malvoisie). La vinification est effectuée en cuve inox thermo-régulé.
Œil : jaune pâle, limpide.
Nez : discret sur des notes de fruits exotiques et de fleurs.
Bouche : pas tout à fait sec avec une belle acidité on retrouve des notes de fruits exotiques mais aussi de la pêche, de l’abricot et des agrumes. La finale est de belle longueur.
C’est un très bon vin. A déguster dans sa jeunesse afin de préserver sa fraicheur.
Prix départ cave : 8,5€
Mlle D Patrimonio Natiu 2016 :
C’est un 100% Vermentinu (Malvoisie). Les raisins sont issus de la Parcelle n°356 situé sur la commune de Barbaggio, elle est exposée plein sud au bord du ruisseau Natiu. Une macération de 12 heures est effectuée et elle est suivie de la fermentation en cuve thermo-régulé.
Œil : jaune pâle, limpide.
Nez : Discret sur des notes de fruits jaunes, d’agrumes et fruits exotiques.
Bouche : Gourmande, fraiche, tendu sur des notes de fruits exotiques et d’agrumes. La finale est de grande longueur avec beaucoup de la minéralité.
C’est aussi un très bon vin, qui accompagnera parfaitement une viande blanche ou des poissons en sauce.
Prix départ cave : 15€
Mlle D Patrimonio Rouge 2015 :
C’est un 100% Niellucciu. Une courte macération est effectuée avec des remontages réguliers et une oxygénation. Le vin est non filtré et non collé. L’élevage est de courte durée et se fait en cuve inerte.
Œil : Grenat
Nez : expressif, net sur des notes de fruits rouges comme la cerise, la framboise et la fraise.
Bouche : fraîche, ronde et gourmande sur des notes de cerise et de fraise. Les tanins sont soyeux. La finale est de bonne longueur avec quelques notes mentholées qui donne beaucoup de fraîcheur.
C’est un très bon vin à boire entre 16º et 18º pour accompagner un barbecue.
Prix départ cave : 8,5€
Mlle D Patrimonio Centu Chjave 2015 :
C’est un 100% Niellucciu. Les raisins sont issus de la Parcelle n°398 Centu Chjave située sur la commune de Barbaggio. Une macération de durée moyenne est effectuée avec des remontages réguliers. L’élevage est de courte durée et se fait en cuve inerte.
Œil : Grenat avec des reflets ambrés
Nez : expressif, net sur des notes de fruits rouges, noirs et murs comme la cerise, la framboise, la fraise et la mûre. Le nez a plus de profondeur que le précédent.
Bouche : fraîche, gourmande et soyeuse sur des notes de cerise et de fraise, il y a aussi des notes d’épice et de menthe. La finale est de bonne longueur avec quelques notes de réglisse qui donnent beaucoup de fraîcheur.
C’est un très bon vin à boire entre 16º et 18º.
Prix départ cave : 15€